Septembre/Octobre 2022 : La lettre économique de l’AFEDE

L’édito du Président

Cher lecteur,

Notre Association vous présente dans ce numéro une étude sur la crise énergétique que subissent actuellement les entreprises après son article sur l’envolée des prix des métaux, ferreux et non ferreux, publié dans sa lettre du mois de mai 2022.

Il est vrai que la forte hausse des prix du gaz et de l’électricité impacte différemment les entreprises en fonction du poids de ces postes dans le processus de fabrication. L’augmentation des prix des consommations intermédiaires pénalise les résultats et les marges de celles-ci. Dans la plupart des cas, ces dernières n’arrivent pas à répercuter la totalité de ces hausses dans leurs prix de ventes au travers de la formule d’indexation ou de révision des prix ; la part de la valeur ajoutée restant dans l’entreprise se trouve ainsi mécaniquement amputée par ces hausses exceptionnelles des coûts.

Vous trouverez dans cette publication l’inventaire, le bilan de la crise de l’énergie actuelle, notamment sur le gaz naturel et l’électricité, et les différentes conséquences liées à cette crise. Les tendances à venir en 2023, rappelées à la fin de cet article, sont difficiles à prévoir compte tenu des incertitudes et des aléas du marché.

Bonne lecture.

Désiré Raharivohitra

Président

Une crise de l’énergie avant tout européenne

La crise de l’énergie semble décidément s’acharner sur 2022. Après avoir fait s’envoler les prix du pétrole brut en début d’année, marché avant tout mondial, c’est au tour du gaz naturel et de l’électricité de connaitre en Europe une explosion de ses prix de gros, historique, à mi-année. Explosion car l’ordre de grandeur est sans commune mesure avec la hausse du prix du pétrole. Alors que les cours du brut sont ressortis en hausse sur un an de plus de 60 % à la fin du premier trimestre, les prix de l’électricité sur les marchés de gros ont progressés en Europe jusqu’à atteindre une multiplication d’un facteur 20 relativement aux cours moyens de la dernière décennie1, ce qui correspond à des niveaux de prix stratosphériques et historiques, même exprimés en termes réels. Pour s’en convaincre, le prix de l’électricité nucléaire historique appelé arenh cédé par EDF à la concurrence suivant un décret découlant de la loi NOME (Nouvelle organisation du marché de l’électricité de 2010) ressort depuis 2011 à 42€/MWh. Ce produit correspond à une offre stable de production quotidienne, originellement supposée couvrir les coûts et une marge jugée raisonnable de la production nucléaire de l’opérateur historique EDF. Ce prix apparait désormais dérisoire comparativement aux cours échangés fin août à plus de 1000€/MWh en base 2023 (produit baseload calendar 2023) et plus de 1300€/MWh en pointe (peak load). Désormais fermement installés en octobre au-dessus des 500€/MWh depuis l’annonce de divers plans coercitifs de sobriété en Europe, l’ampleur de ce renchérissement doit continuer de nous inquiéter pour plusieurs raisons.

La première raison tient au fait que le canal de transmission à l’économie réelle est très différent de celui du pétrole brut. Ce dernier se transmet très rapidement sur les prix à la pompe, en 10 jours environ, affectant ainsi le système productif très rapidement. Cela tient à une logistique d’approvisionnement et de distribution entre les raffineries et les dépôts pétroliers en général très optimisée, et donc, par nature, à une filière de transport et distribution organisée en juste à temps. A l’inverse, les prix sur les bourses d’échange du gaz naturel et de l’électricité se diffusent avec un important retard sur les prix de détail, et de manière très inégale sur les entreprises. En effet, celles qui souscrivent des contrats sur le marché libéralisé, suivant des clauses de prix totalement libres, sont souvent à prix fixes pour les PME, et bien plus souvent indexées pour les grands consommateurs industriels qui cherchent habituellement à optimiser et connecter leurs prix sur la réalité des marchés. De fait, on comprend que les divers indices INSEE qui retracent les hausses récentes des prix de détails aux entreprises augmentent fortement mais de manière encore très incomplète. Ces hausses moyennes, quoique significatives, sont en effet très en écart avec les prix de référence récemment publiés par la CRE et qui visent les industriels à se repérer sur les offres fournisseurs. Suivant différents profils de consommation des PME et collectivité territoriales, les prix annuels actuels vont de 460€ à 655€/MWh pour les PME, mais la CRE ne cache pas qu’ils pourraient monter cet hiver jusqu’à 1000€/MWh. De fait l’impact sur les entreprises fin 2022 tient bien au timing précis de contractualisation avec leurs fournisseurs d’électricité et de gaz naturel, permettant à certaines entreprises d’être encore déconnectées de la réalité des coûts énergétiques de 2022. Celles qui ont contractualisé à prix fixes depuis fin 2020 jusque fin 2022 découvrent l’origine d’un éventuel avantage compétitif d’autant plus important que ces énergies électricité et gaz comptent pour une part importante de leur décomposition des coûts. Et l’ajustement sur le prix final global d’une PME, avec une part de la fourniture (les électrons) comptant environ 60% du coût complet du MWh, implique que cette fourniture prédominance de l’électricité mais aussi du gaz naturel peut représenter désormais près de 90% du prix total du MWh relativement au coût d’acheminement réseau (hors fiscalité), avec au passage, une multiplication dépassant couramment 7 fois le prix complet du MWh, suivant les cours actuels de l’électricité sur les marchés de gros.

Autre conséquence, cette fois non plus à un niveau individuel, mais macroéconomique sur nos économies européennes, la transmission progressive de ce choc de prix à l’économie réelle est couramment sous- estimée, car justement incomplet. Il est donc probable que la hausse actuelle des prix à la production de l’industrie française indiqué par l’INSEE, déjà en fort rebond à août 2022 (+29%), poursuive son envolée, au moins tant que les prix sur les marchés de gros restent aux niveaux élevés actuels. S’il est impossible d’estimer la part des entreprises déjà affectées de plein fouet par ce renchérissement à fin octobre, il faut noter qu’il faudra plus d’un an pour que la grande majorité des entreprises industrielles et manufacturières sur les marchés de détail de l’énergie soient contraintes de renouveler leurs contrats avec leurs fournisseurs d’électricité et de gaz naturel.

Une troisième conséquence tient à la gestion du risque prix de l’électricité. Dans sa note sur les prix de référence2, la CRE a raison de conseiller aux entreprises de souscrire le moins possible de clauses de flexibilité. En effet, dans un environnement de marché aussi volatile que nous connaissons, les fournisseurs d’électricité feront payer cher à leur clients la garantie de prix fixes, le maintien de clauses qui figent les conditions contractuelles, comme l’introduction d’années optionnelles. Cela correspond à une provision pour risque ou au surcoût correspondant à la prise de positions sur les marchés de gros.

Enfin, une dernière conséquence importante de la spécificité électrique touche au fait que notre marché pertinent de l’électricité est défini au niveau européen et non pas mondial, comme l’est au contraire le marché pétrolier. Le choc de prix électricité implique ainsi un fort désavantage compétitif pour toute la zone euro, relativement aux Etats-Unis notamment, mais également vis-à-vis de la Chine. Ces ajustements sont aussi brusques que source de désorganisation pour certaines filières européennes qui utilisent comme intrant l’acier, l’aluminium, et de manière globale la chimie, très directement affectée par la dans les processus de production. L’on peut raisonnablement craindre que certaines filières industrielles cherchent à se réorganiser ces prochains mois en zone euro, par une délocalisation au moins partielle de certains pans de leurs activités. Cela pourrait être le cas si l’Union Européenne et la Commission sont incapables de rassurer sur la sécurité d’approvisionnement énergétique européenne, lourdement questionnée. Or sur cette question, nous pouvons être raisonnablement inquiets. L’outil identifié probablement le plus crédible pour faire baisser rapidement et significativement les prix de l’électricité n’est probablement pas la contribution associée aux superprofits de la production électrique, mais celui qui consiste à reproduire à l’échelle européenne la démarche observée dans la péninsule ibérique en 2022. Il s’agit de caper les prix du gaz naturel à des niveaux raisonnables dès lors que celui- ci est utilisé pour la production électrique. Cela n’éviterait pas un manque de gaz et d’énergie à l’échelle européenne, mais permettrait, par ce plafonnement à 50€/MWh, sans doute d’éviter des prix de l’électricité à plus 200€/MWh3. Cet outil ne semble manifestement pas faire l’unanimité. Alors que la Commission prévoyait d’approfondir les conditions de mise en place de ce dispositif entre les états membres, l’Allemagne s’est empressée d’officialiser de son côté un plan d’aides à 200 milliards d’euros pour les entreprises sur le sol allemand, sans chercher à envisager la coordination de tout autre dispositif. Il faut admettre toutefois, que le surcoût associé à ce dispositif de capage du gaz pour la production électrique (moins de 20% de l’utilisation finale du gaz naturel en Europe), serait à supporter majoritairement par les pays qui utilisent les centrales à gaz à cycle combiné majoritairement, c’est-à-dire en particulier, en Italie et en Allemagne ...

Dans ce contexte inquiétant qui menace la sécurité d’approvisionnement énergétique, une prévision des prix de l’électricité 2023 apparait impossible à formuler et dépendra en particulier de la capacité de l’Europe à s’entendre sur un dispositif fiable et cohérent d’assagissement des prix de gros de l’électricité. La difficulté à prévoir le succès de nos diplomaties européennes explique ainsi qu’aucun cabinet de prévision ne s’autorise à publier officiellement une prévision de prix. Et malheureusement, nous pouvons simplement mentionner deux raisons qui militent sans doute pour un maintien pérenne des prix de l’électricité à des niveaux élevés bien au-delà de la dernière décennie 2010-19.

- D’une part, sur un marché tendu, comme nous l’avons précédemment indiqué, le gaz naturel est le combustible des centrales à gaz à cycle combiné qui permettent en dernier ressort l’équilibre du marché européen. Or l’expert Thierry Bros souligne que sur la crise sur l’approvisionnement russe il n’y aura pas de marche arrière pour l’Europe et qu’une substitution progressive par des importations maritime, via le GNL de terminaux méthaniers, prendra du temps et se fera à des prix nécessairement très supérieurs, même à long terme. Nous substituons une dépendance par une autre, mais cette fois avec un arbitrage possible des approvisionneurs en GNL entre l’Europe et l’Asie. Notre sécurité d’approvisionnement est ainsi durablement affectée.

- D’autre part, et c’est le second enseignement majeur de la crise énergétique 2022, il est probable que le réchauffement climatique affectera plus fréquemment à l’avenir la disponibilité de notre parc de production nucléaire, par la baisse du niveau des fleuves qu’elle occasionne ainsi que l’élévation critique de leurs températures. Ce sera également le cas pour la disponibilité de notre ‘capital hydraulique’ qui dépend directement de la pluviométrie et qui serait également négativement affecté comme cela été observé en 2022.

1 Retenant le produit échangé sur les marchés de gros le plus commun, les prix calendaires pour la base N+1, ils correspondent à une fourniture stable sur toute une journée type et sur une année entière.

2 https://www.cre.fr/L-energie-et-vous/references-de-prix-de-l- electricite-pour-les-pme-et-les-collectivites-territoriales

3 Marcel Boiteux nous rappelle en effet que les prix ne se fixent pas au coût moyen du marché électrique, mais suivant l’unité de production marginale qui autorisera en dernier ressort l’équilibre de l’offre à la demande. Et c’est bien dans ce sens que s’effectue l’équilibre d’un marché électrique, qui est le seul au monde nécessitant qu’offre et demande soient ajustées à des niveaux proches, et ce, en temps réel.

Olivier Reymondon
Directeur des Etudes Economiques
Direction des Achats Groupe SNCF

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